Lettre du commandant Delbreil





Château de Fonneuve prés Montauban                                                             le 11 Juin 17
Madame

J’aurai voulu depuis longtemps vous présenter mes vives et bien sincères condoléances c’était un devoir d’amitié envers votre mari, devoir auquel je n’aurais pas failli si ma faiblesse me l’eut permis. Maintenant seulement je puis rassembler suffisamment mes idées et j’en profite pour venir tout de suite vous donner quelques détails sur les derniers jours de celui qui vous avez donné sa foi et ne vivait au milieu de nous que par le souvenir des siens dont vos lettres lui apportaient des nouvelles fréquentes et lui donnaient ses seuls moments de joie véritable. Depuis fort peu de temps j’avais pris le commandement du 3ème bataillon du 11 ou j’avais retrouvé votre mari, nos sentiments nos idées nous rapprochaient et les liens d’une parenté éloignée avaient bien vite transformé en amitié nos relations de camaraderie. Tout d’ailleurs était attachant dans votre mari son caractère sa piété sa bon humeur et ce m’était une vraie joie quand mon service ne me retenait pas que de causer longuement avec lui. Si nous parlions service parfois, nos conversations revenait bien vite à nos affections et c’est ainsi Madame que je vous connus et admirais vos deux jolies fillettes, je sus tous leurs bons mots et compris toutes les douleurs de celui qui depuis si longtemps était séparé de toute ses affections. Nous nous entendions si bien que je lui avais proposé de le prendre comme adjudant major dés que je le pourrais, nous faisions déjà bien des châteaux en Espagne sur l’heureux moment où nous pourrions réaliser nos projets, hélas il ne devait jamais se réaliser.
Vous savez Madame que le 11ème a prit par à l’attaque de Champagne, notre objectif était le Téton. Le troisième bataillon était en réserve. Le 17 jour de l’attaque et le 18 le bataillon n’eut pas à soutenir la lutte, mais le 19 l’ordre nous fut donné de relever le bataillon de tête qui venait de s’emparer du Téton. Pendant les deux premiers jours nous eûmes cependant de fortes alertes à repousser et toujours la 11ème compagnie que commandait le Cne de st Exupery se montra digne du chef qui la dirigeait et qui par son calme son sang froid sous la mitraille sut la conduire en évitant toutes les pertes inutiles avec la plus grande audace.
Au moment où l’ordre nous fut donné de relever dans la nuit le bataillon du Téton, avec les cdts de Cie  je me portais sur le sommet que nous devions occuper pour en faire la reconnaissance. Pendant que je faisais moi-même le tour des positions, les cts de Cie m’attendaient abrités dans un ancien observatoire allemand contre le déluge de mitraille que nous envoyaient les allemands. Au moment où ayant finis ma tournée je regagnais l’abri pour donner mes ordres la rafale d’obus que nous subissions doubla d’intensité et bientôt nous ne pûmes avoir aucun doute sur les intentions de nos adversaires : quelques minutes plus tard les allemands déclenchaient sur nous une très violente attaque. A ce moment la l’un des capitaines fut blessé et dut( ?) s’éloigner un autre fut séparé de nous et je restais seul avec votre mari et quelques hommes dans un trou d’obus. Débordé par l’ennemi les défenseurs placés en avant de nous s’étaient portés en arrière et bientôt les allemands débouchaient menaçant de tourner le bataillon qui tenait encore. Notre devoir était tout tracé avec les quelques hommes que nous avions nous nous jetâmes sur les ennemis. Surpris ceux-ci s’arrêtèrent et reculèrent c’est à ce moment que votre mari et moi sommes tombés l’un à coté de l’autre frappés tous deux par une balle presqu’à bout portant.
Ce n’est qu’a Bouy où nous étions soignés que j’appris sa blessure, et sachant mon attachement pour lui et vu ma faiblesse ce n’est que le 2 Mai que j’appris que Dieu l’avait rappelé à lui.
C’est de toute mon âme que je prie pour votre mari ou plutôt que je le prie de vous obtenir l’adoucissement de votre douleur et la résignation à la volonté de Dieu. Que l’on est heureux Madame dans de si terrible cataclysmes qui viennent briser nos existences de pouvoir tomber à genoux et retrouver au pied de l’autel ? ceux  que l’on aime et surtout d’avoir l’assurance de les retrouver un jour pour ne plus les quitter. Votre chagrin est bien grand mais votre fierté doit l’être davantage votre mari s’est conduit en chevalier et en héros c’est un martyr qui a déjà reçu au ciel sa récompense.
Veuillez recevoir Madame avec l’expression renouvelée de mes condoléances celles de mes plus respectueux sentiments.
C ? Delbreil

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